C’est avec beaucoup de respect que nous nous humilions devant la famille, les clans, les proches et le peuple de Kanaky face à l’incommensurable douleur que nous, les CEMÉA « Centres d’Entrainement Aux Méthodes d’Education Active » Pwärä Wäro, traversons.
Nous tenons à vous faire part de la disparition brutale de notre Président, Monsieur Karaïmiâ MEREATU, survenue le lundi 6 février 2023 en début d’après-midi à Draguignan en France.
Notre Président était actuellement en déplacement dans l’hexagone dans le cadre de son engagement associatif avec notre Directrice depuis le 18 janvier 2023 pour partager et travailler nos projets avec la grande famille du réseau CEMÉA. Aussi, face à l’année décisive qui est en cours, ce travail a été amené dans les hautes institutions favorisant de grands échanges nécessaires pour l’avenir du Pays.
Militant de la première heure, Président des Ceméa Pwärä Wäro depuis 2021, il tire sa révérence à l’aube de sa 58ème année, nous léguant travail et conviction qu’il a porté auprès de chacun d’entre nous avec force, sagesse et beaucoup d’amour.
Soucieux des uns et des autres, attentif au bien-être et à la réussite de tous, il était un Grand Homme, un Homme d’Honneur. Pouvoir déployer des moyens afin d’accompagner la jeunesse dans son émancipation par l’éducation était sa ligne de conduite, cette ligne toujours droite et propre à sa philosophie de vie et aux valeurs qu’il défendait. Sans cesse ses paroles accompagnaient le travail des militant-e-s où il nous demandait d’avoir une ligne de conduite digne de Pwärä Warö ; « Pwärä Wäro », « Source de Vie » en langue Paicî pour le peuple et les enfants de Kanaky.
Chaque jour il demandait pardon à nos familles, pardon car nous sommes absents, pardon car nous avons l’esprit dans nos projets et les remerciait par la même occasion de nous laisser l’espace et le temps d’accomplir ces choses. Sa sagesse se faisait ressentir bien au-delà de nos montagnes, de nos rivières, de nos mers. Il nous a donné courage et détermination jusqu’à ces dernières heures parmi nous. Son énergie continuera de nous accompagner et de briller dans nos esprits, dans nos vies, dans notre futur, dans nos engagements…
Nous rejoignons la famille, les clans, ses ami-e-s et son entourage pour vous présenter nos plus humbles condoléances et vous remercier, vous remercier d’avoir fait de lui l’Homme qu’il était sans qui, nous n’aurions pas pu être des enfants, des sœurs, des frères, des mamans, des papas devant lui, car il a été plus qu’un père, qu’un frère, qu’un grand-père, il était notre ligne de conduite, notre souffle de foi en l’humanité. Il nous rappelait souvent, « à Pwärä Wäro, on éduque à la paix ».
Nous lui souhaitons un bon voyage parmi les vieux, de bonnes retrouvailles avec tous ceux qui l’ont accompagné et nous ferons de notre mieux pour lui rendre hommage chaque jour que la vie nous offre.
« Nos cœurs pleurent, nos têtes suffoquent, mais nos pieds se posent dans ses pas et ceux de ses pairs. Quant à nos mains, elles continuent de façonner la sagesse, l’amour, la bonté, l’authentique, qu’il nous a enseigné dans sa manière d’être et de faire.
Même si le vent souffle, nous restons solidaires pour nous organiser de là où nous sommes, pour l’émancipation du peuple qui lui tenait tant à cœur.
Cidôri Ao Karaimia pour les paroles, pour l’encouragement, pour l’exemple, pour avoir maintenu le cap et de nous avoir laisser des outils, des clés, pour avancer, encore, dans le travail, et toujours avec Pwärä Wäro.
Le travail de l’ombre, c’est lui, ukaï kârâ karapaa-jè,
Puisse-t-il danser le pilou éternel,
Cadencer avec le bambou solennel,
Rythmer avec le jeepaa des Dui,
Chanter le aé-aé des Bai,
Que le son du sapin qui vient de tomber puisse résonner jusqu’au fin fond des vallées et par-delà l’horizon de l’océan, au plus loin du firmament, à jamais, pour l’éternité,
Que le vent porte sa voix, et nous bénisse à chaque endroit,
Que chaque arbre planté s’épanouisse en suivant leurs voies,
Que sa pensée visionnaire illumine nos façons de faire pour continuer de progresser sur le chemin de nos vies. »
La famille des CEMÉA Pwärä Wäro
Le 08 février 2023
Nous avons appris lundi soir 6 février, heure hexagonale, le décès de Karaimia MEREATU, survenu brutalement en début d’après-midi. « Son cœur l’a lâché et il est parti » … comme nous l’a exprimé « le vieux » Pierrot LEPEU, de leur lointaine terre… Karaimia était le président en exercice des Ceméa Pwärä Wäro. Il était président depuis trois ans et avait effectué un travail de déploiement d’antennes Ceméa sur l’ensemble du territoire de Kanaky. Il utilisait ce terme pour parler de son territoire, il n’aimait pas dire Nouvelle-Calédonie, c’était pour lui un mot issu de la colonisation. Et, dans l’un de ses gestes coutumiers, en nous remettant le drapeau kanak, symbole de lutte, il nous a rappelé « la demande que le sort d’un peuple là-bas puisse évoluer et accéder aux mêmes biens que d’autres peuples ont dans le monde, biens auxquels ce peuple n’a pas possession aujourd’hui… ».
L’association Pwärä Wäro, était en souffrance avant sa prise de fonction, elle continuait d’avoir une activité dans la diffusion des idées de l’Éducation Nouvelle, dans sa visée émancipatrice, mais elle n’avait plus de fonctionnement administratif et son action était désorganisée. En un peu moins d’une année, il a réussi à refaire vivre un bureau, a accompagné la prise de fonction d’une directrice, a relancé une activité économique importante, a coordonné la rédaction de la lettre d’engagement et du PRAD, a participé à l’animation de nombreux regroupements, et a redynamisé l’activité des Ceméa sur ce grand territoire du Pacifique…
Son parcours a influencé beaucoup de personnes. Exfiltré des barrages au moment des événements en 1988, et envoyé faire son service militaire en France, il y est resté un peu plus de dix années et il a ramené en Kanaky, un Diplôme d’État d’Anthropologie qu’il a obtenu à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales.
Les différentes places qu’il a occupées ensuite au Pays, ont toutes été exemplaires, comme membre d’un parti politique indépendantiste, chargé de mission au Cabinet de Paul NÉAOUTYINE (Président de la Province Nord), Maire de la Commune de KOUAOUA, directeur de CAP EMPLOI (Province Nord), directeur de cabinet de Madame GORODÉ, Ministre chargée de la Culture dans le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, chargé de la Formation continue à la DEFIJ (Direction de l’Enseignement, de la Formation et de l’Insertion des Jeunes de la Province Nord)…
Karaimia était en hexagone depuis une vingtaine de jours, pour consolider l’action des Ceméa au pays, pour participer à la conférence des Présidents et des Présidentes du réseau, et rencontrer un de ses petits-fils qui venait de naître. Il souhaitait également rendre hommage aux personnes qui avaient fait en sorte que les Ceméa Pwärä Wäro puissent exister et se développer. Il a pour cela rencontrer Jean-Marie MICHEL pour lui demander d’être Président d’honneur et échanger sur l’histoire de cette AT. Il n’était pas encore sorti de l’avion qu’il avait des projets de rendez-vous avec des élu.e.s députés ou sénateurs, qu’il souhaitait modifier le programme de son séjour pour pouvoir rencontrer le plus de personnes possibles, à Montpelier, Perpignan, Draguignan, Nantes, il avait l’intention d’aller à Clermont-Ferrand… Il voulait que l’action des Ceméa participe à la qualification des jeunes du Pays, en les préparant aux concours de moniteurs éducateurs ou encore en structurant une école de la deuxième chance qui rayonnerait sur l’ensemble du pays. Il avait pour projet de favoriser la rencontre entre les peuples premiers séculaires des différents continents de la planète, de participer à la sauvegarde du patrimoine naturel, notamment celui du massif corallien et de la mangrove. Il voulait perpétuer le patrimoine culturel mélanésien en participant à l’émergence d’un rassemblement politique de l’ensemble des peuples du pacifique. Il était présent dans une rencontre le vendredi 3 février, au ministère des Outremers, au sein d’une délégation des Ceméa pour négocier la CPO du réseau pour les trois années à venir.
Il avait le souci de passer de l’intention à l’action concrète. Il ne parlait pas pour ne rien dire, ses paroles, notamment lors des gestes coutumiers, étaient toujours justes, pleines de sagesse et inscrivait le moment présent dans une continuité générationnelle pour faire prendre conscience de la place de toutes et tous dans les collectifs en présence. Ses paroles valorisaient ceux et celles à qui elles étaient destinées et permettaient à toutes et tous de pouvoir s’exprimer librement dans un réel respect mutuel. « Soigner la relation aux autres : parce que c’est l’homme qui blesse l’homme, l’homme doit soigner l’homme, c’est cela la philosophie de Pwärä Wäro ! », nous a-t-il répété.
Il était studieux, comprenait le monde, il aimait rire, faire des projets et avait un sourire ravageur, son regard traduisant une grande intelligence, touchait les personnes sur qui il se posait. Il laisse derrière lui un grand vide. À nous de poursuivre son action en continuant de nous impliquer partout où c’est possible pour l’émancipation de toutes et tous. En nous remettant un objet sculpté, représentant l’ancêtre et ceux qui lui succéderont à l’avenir… Karaimia souligna notre rôle de passeur mais aussi de simple passager… « Nous ne sommes juste qu’un petit grain de sable dans cette histoire de l’univers…, mais porteur de multiples graines d’avenir… Toute a une origine… et la transmission est essentielle ».
Adieu Karaimia, ton cœur a lâché mais tes idées et combats continueront de souffler la vie !
Texte rédigé par Jean Baptiste CLERICO, Directeur général des Ceméa France et Christian GAUTELLIER, Président d’honneur des Ceméa Pwärä Wäro
Les Ceméa et Ceméa de Kanaky