Lettre à Pierre DECLERCQ

LETTRE À PIERRE DECLERQ
Jeune Citoyenne de mon Pays

Nouméa le 19 septembre 2011
Colline de Poètes à Nouméa

À Pierre Declercq

Bonjour Pierre,

Cela fait longtemps, ça fait 30 ans…

J’espère que dans l’endroit où tu te trouves, tu parles avec tous nos vieux, ceux qui nous ont permis de marcher sur leurs traces. Je sais que de là ou vous êtes, vous veillez sur nous. Tu me connais Pierre, moi jeune de ce Pays, moi bébé génération 82, 83, 84, 85,….Celle qui n’a pas vécue la révolution de nos grands-pères, nos grandes mères, nos pères, nos mères, nos oncles, nos tantes, nos grands frères et nos grandes sœurs.

Tu nous as regardé et écouté Pierre, crier Kanaky et ne pas savoir que c’est l’endroit dans lequel nous devons tous nous y rendre? Le chemin qui nous y conduit est encore long et il est parsemé d’embûches… Je dois te l’avouer Pierre qu’il me décourage parfois, mais je ne m’arrête pas là. Je sais que mon temps de vie sur terre ne me permettra pas de voir Kanak et Kanaky dans sa globalité. Mais s’il y a bien une chose dont je suis sûre c’est que mon engagement pour y aller, il est présent et il m’anime tous les jours. Désormais je sais que citoyen Kanak et Kanaky ce n’est pas que 2014 ou 2018, c’est bien plus que le nom d’un peuple et d’un Pays. Malheureusement Pierre, beaucoup trop de gens pensent que Kanaky c’est là bientôt, que Kanaky ça nous appartient à nous le peuple premier. Moi je pense que Kanaky n’est pas à nous, car toute sa conception est à écrire dans les pages de notre histoire et elle est à partager avec l’ensemble de ses habitants qu’il soit caldoche, wallisien, javanais, tahitien….mais aussi avec le reste du monde. La coutume est présente parce que nous la faisons vivre ! C’est dans ça que nous et les autres pouvons-nous reconnaître si nous décidons ensemble de créer les chemins pour se rencontrer et se connaître. C’est cette part d’universelle qui nous a été transmise depuis des millénaires et que nous devons partager aux gens de la cité. Dans notre parcours de tous les jours, nous devons convaincre les autres en face mais aussi des gens à nous. Tous les jours il faut frapper haut et fort pour dire que Kanaky n’est pas utopique mais qu’il est viable. Mais la tâche est lourde Pierre car tout comme toi à ton époque, le système est présent et prend diverses formes. Il ne nous permet pas d’œuvrer dans ce sens. Se rajoute à ça Pierre, la tolérance des comportements qui ne doivent pas exister en Kanaky et j’ajouterai dans notre monde au XXI ème siècle.

Regarde-nous Pierre, car nous sommes peu conscients du travail et du chemin que nous avons encore à faire.

Regarde-nous Pierre dans nos mauvaises manières de tous les jours :

Aujourd’hui encore, je pouvais entendre des grossièretés et des conversations vulgaires entre frères et sœurs.

Aujourd’hui encore, j’ai vu des frères arrivés dans un endroit pour la première fois comme ça, dans une maison qui les accueille sans prendre le temps de faire les gestes nécessaires pour se présenter.

Aujourd’hui encore, j’ai entendu « Kanaky nique sa mère et le système, Kanaky vous nique tous les blancs ! ».

Aujourd’hui encore, j’ai vu un vieux qui ne met pas en pratique les valeurs qu’il transmet aux plus jeunes comme si il jouait un autre personnage.

Aujourd’hui encore, j’ai appris qu’un de mes frères est rentré à la 491 pour avoir donné des coups à la mère de sa fille.

Aujourd’hui encore, on m’a dit qu’il n’était pas prudent de marcher seul le samedi soir au val d’argent car je pouvais me faire agresser.

Aujourd’hui encore, j’ai entendu dire que si nous ne sommes pas indépendants on va sortir nos flingues.

Aujourd’hui encore, j’ai entendu dire qu’il y a une coutume à aller faire pour prendre l’enfant mais pas la maman parce que le frère en question veut être prévoyant si jamais il ne restera plus avec la mère de son enfant.

Aujourd’hui encore, sur face book je pouvais voir des photos et des messages vulgaires sur les murs des gens de ma famille.

Aujourd’hui encore, mes frères se sont disputés un bout de terre et il y a eu un mort.

Aujourd’hui encore, je viens d’apprendre que trois personnes de ma famille sont mortes sur la route parce qu’ils avaient trop bu et fumé.

Tu vois Pierre, il y du boulot en termes d’éducation et de formation à tous les niveaux… On n’assume de moins en moins nos devoirs, on se croit supérieur par rapport aux autres et on parle là où l’on ne devrait pas. À côté de ça se rajoute notre dépendance dans toutes les formes d’attractions qui sont autour de nous (alcool, cigarette, cannabis, kava, bingo, beuverie et fête à outrance). On perd tous les jours de notre culture, ça c’est une réalité.

On se pose de moins en moins la question ; qu’est-ce que je fais-moi à mon niveau pour donner ma part dans le grand travail du Pays ? Assumer d’être des poteaux de la case et d’apporter sa contribution dans le travail en commun pour le bien du groupe, c’est ça notre devoir à tous ! La critique est plus facile mais l’analyse de soi est bien plus difficile.

Merci à toi Pierre pour ta croyance et ton engagement. Merci d’avoir osé dire que « le terme Kanak ne désigne pas une ethnie, ni une race (…)» Dans ton début de phrase, la jeunesse doit prendre position et doit se mettre debout ensemble. Mais elle doit être accompagné par les aînées et de ceux en face qui participent activement à œuvrer dans ce système dans lequel nous vivons. Prendront-ils enfin conscience ? Je ne sais pas encore. Mais dans l’histoire de notre Pays, ça ne fait qu’une vingtaine d’années que l’on nous reconnaît…alors nous avons encore du chemin. Il faut encore manger, grandir et vieillir.

Moi je suis de cette génération des bébés couches câlines, je ne suis qu’un bébé par rapport à toutes les grandes personnes qui m’entourent. J’exprime dans ma lettre que je t’adresse, ce que je vois autour de moi en septembre 2011 et l’intérêt que je porte au déroulement des faits qui traversent nos vies au Pays. Un jour lorsque je prendrai le chemin des morts, je sais que j’aurai participé à porter un bout de travail vers l’identité kanak et le destin commun car l’un ne va pas sans l’autre. Pour toi mais aussi pour que la jeunesse citoyenne se rappelle, j’ai imaginé ceci avec ton prénom et ton nom :

Projet dit Pédagogie
Intention dit Respect
Elaborer dit ensemble
Résistance dit Lutte
Réveiller dit Debout
Etre dit Kanak

Donner dit Normal
Education dit Nation
Culture dit Apprendre
Libre dit Choisir
Encourager dit S’attacher
Révolution dit Changer
Clair dit Organiser
Questionner dit Se Questionner

Merci Pierre de l’attention que tu porteras à ma lettre. Passe mon bonjour à tous les vieux et dis-leur que tant qu’il y aura des gens debout dans notre Pays, nous ne cesserons jamais de marcher sur vos traces mais aussi sur celles qui nous traversent depuis des millénaires.

Fraternellement
Une jeune citoyenne

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