Extrait d’interview de Jacques Kiki KARÉ sur l’artistique,
Le 8 février 1995, dans le Mwà Véé N°8
Notre problématique, c’est qu’avec le contexte politique, avec un pays qui a pour ambition de préparer son avenir, ça bouge… La problématique artistique kanak vient du fait que le peuple kanak est un peuple colonisé ; il faut retrouver un certain nombre de points de repère. On doit se chercher, notamment à travers l’artistique, mettre en scène les danses traditionnelles que l’on n’a pas pu danser depuis 30, 50 ou 100 ans. C’est d’abord une démarche intime, on se cherche… Il y a des mots qui organisent notre vécu : souveraineté, indépendance, et puis qui sommes-nous par rapport à hier et par rapport à demain ? Donc, c’est ça le fond et l’artistique joue là-dessus.
La problématique de l’artistique kanak, c’est un besoin intime de remettre sur pied les points de repères disparus. Tout en réfléchissant sur comment ces repères du passé se modulent pour être repérés dans une situation contemporaine qui est 1995.
C’est une démarche de recherche des Kanak et comme il y a prestation artistique en même temps, il y a un autre pas à franchir : expliquer à l’autre qui tu es, et puis l’autre, il critique, il est spectateur. On l’invite à communiquer. On ne peut pas enlever l’artistique de son contexte social particulier de ce pays. L’aspect artistique est un des moyens de lutte pour un certain nombre d’acteurs du monde artistique kanak.
Je prépare une danse et il faut en même temps que je me cherche moi-même et que j’explique à l’autre, puisque je suis celui qui réclame sa souveraineté. Je dois me chercher, je dois expliquer aux autres. Et l’autre critique, il me dit : « Pourquoi des danses traditionnelles avec des chaussures de tennis ou avec un short du FC Nantes ? ».
C’est notre situation. Tu ne peux pas séparer l’artistique de son côté social. Et, c’est nouveau, l’artistique devient une activité à part entière comme l’autre est menuisier ; ça prend cette allure comme dans les grands pays industrialisés où on se dit artiste. Pour nous, Kanak, l’artistique rejoint la vie de tous les jours, où l’on danse pour la récolte de tel produit…
« Pwolu Jenaa » est important car les gens viennent s’exprimer, les gens amènent ce qu’ils ont préparé : celui qui a préparé trois jours amène la préparation des trois jours, comme celui qui a travaillé deux ans amène la préparation de deux ans.
Question de Mwà Véé : Ce qui est important, c’est d’être présent ? C’est la qualité artistique ?
L’important, c’est d’être là pour dire : « Je suis de Paicî, voilà ma partie ! Je suis d’Ajië, voilà la mienne, de Hoot ma Whaap, voilà ». Il faut être présent. Dans ce pays, quand on a des choses à dire, il faut d’abord être présent pour le dire.
La présence, plus la qualité artistique, c’est une fourchette qu’il faut toujours peaufiner. C’est en perpétuelle évolution ; un spectacle d’hier est différent du spectacle de ce soir. L’essentiel, c’est d’être présent. C’est quand on est là qu’il y a débat, que l’on discute, que l’on cherche ensemble. On apporte ce que l’on a et on partage avec les autres : « Comment ça se passe chez toi, quels sont les problèmes que tu rencontres ? » Échanger…
[…] On ne retient du Kaneka que la partie musique, ce qui n’est que la partie visible de l’iceberg mais on ne voit pas ce qui est en dessous. La plupart des groupes de Kaneka sont organisés en associations culturelles.
Ce que l’on voit sur la scène, c’est l’atelier musique. Les associations comme Mexem, Bwanjep ne font pas que de la musique. Ils font partie intégrante de la tribu et ils ne sont pas seulement des joueurs d’instruments. Il y a aussi des grand-mères, des enfants, des femmes... Le Kaneka n’est pas la seule activité de l’association JEMAA ou VAMALEY, par exemple.
On regarde trop ce phénomène social par le petit bout de la lorgnette artistique. Les gens ne jouent pas que de la guitare dans la vie de tous les jours. La population d’acteurs, c’est la jeunesse et tout le monde est d’accord pour dire que c’est la tranche de population à risque. Quand on brûle le magasin Barreau, c’est cette tranche-là qui est visée.
La plupart de la population active, dans le Kaneka, est en dehors du marché de l’emploi et a été rejetée du système éducatif académique. Ils arrivent dans leur cadre de vie qui est la tribu. Les gens se retrouvent en dehors du marché de l’emploi mais ce qui est sûr, c’est que la vie continue, donc il faut continuer à se « démerder » avec sa situation !
Eux, essaient et ils sont porteurs du Kaneka. Ils se sont pris des repères à eux.
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